L’abrutissement et la médiocrité y sont partout. Peut-il en être autrement dans une république désintégrée ou seules dominent la prééminence des ivresses du pouvoir et la crétinerie bouffonne d’individus lugubres, plutôt classables dans la catégorie des maillons faibles de la société? Le Togo, il en existe deux. D’un coté, celui des citoyens ordinaires émaciés, ravagés par la misère à qui tout est interdit et, de l’autre, celui des dirigeants louches, joufflus, de surcroit méprisants qui, eux, peuvent tout se permettre; les deux se regardent en chien de faïence.
De mémoire d’homme, il n’y a pas plus impopulaire que le pouvoir de Lomé, toutes institutions confondues! Faure et ses amis sont source de troubles anxieux. Ils chagrinent le peuple. En face, dans la population, les gens sont tenus de ravaler leur colère, de peur d’être cueillis dans leur sommeil et mis sous verrous. C’est à croire qu’on est, chez nous, dans un conte des Mille et Une nuits modernes. Les choses et les êtres ne sont nullement ce qu’ils paraissent. La morale a foutu le camp. Depuis. Le quotidien du citoyen est aigre, toxique. Sur ce peuple très appauvri, la dictature peut régner sans crainte, intolérante. Elle peut passer sur la vie d’innocents citoyens, comme des chars en débandade sur les cadavres de soldats inconnus. Disons-le, le Togo broie ses enfants. Un pays établi à la lisière d’un mouroir étendu d’où s’élèvent, du nord au sud, des soupirs aigus d’anxiété, des cris diffus d’agonie. Pendant que tout le pays fond en pleurs et des denrées sont hors de prix, les sous-fifres tiennent le haut du pavé, narguent sans retenue.
Nous ne sommes plus le pays des méritants. Les valeureux sont – paradoxe criard – les misérables de la cité. La foi en soi, la joie de vivre se trouvent désormais soumises à bien rude épreuve. Oui, le Togo a perdu ses équilibres, ses enfants, leur sourire. Au point que l’homme normal hallucine debout et se croit nu dans le regard du fou. C’est ainsi que sans répit, les Togolais errent sur les chemins les plus sombres, remplis de frustrations et d’incertitudes, derrière ce qui leur manque, ce qui leur fait défaut mais que le pouvoir, trop limité par ses propres tares, ne peut offrir. L’actualité, faites beaucoup plus de scandales que de hauts faits, régulièrement, vient nous rappeler l’étrange proximité qui nous lie au vice, à l’impudeur, à l’imposture. Pitoyable sort d’un peuple détruit qui vivote, en silence, dos aux valeurs nourricières de son identité, agglutiné dans le même espace comme par une erreur du destin. On voit beaucoup de gens grimacer, singer. Parce qu’ils ont réussi à se faire un nid dans les girons du vice dominateur. Mais qu’on ne se trompe pas, le silence de la masse n’est nullement un consentement. C’est à son corps défendant que la majorité silencieuse se contente de gober, toute ses douleurs tues, des dirigeants cooptés qui mentent avec inouïe impudeur et en qui on ne peut voir que des bibelots, c’est-à-dire des objets décoratifs dispendieux.
Ce Togo là, quand l’étranger le visite, seules deux questions peuvent lui traverser l’esprit: ou va t-il ce peuple et personne ne rit? Et, pourquoi parmi ces huit millions d’âmes aucune ne sort la tête de l’eau pour arrêter l’ignominie et faire acquérir à cette terre naguère charmante ses lettres de noblesses, pour lui faire gagner de la notoriété ? Alors, « on fait comment »? La solution est unique, incontournable: les états généraux de la république qui débouchent sur un changement de régime. De fond en comble. Point.
Kodjo Epou